13/10/2011

"L'inconnu"

« Nous vîmes cela pendant une seconde : c’était, nous sembla-t-il, deux misérables en haillons, rouges dans la lueur éclatante du foyer, avec leurs faces barbues tournées vers nous, et autour d’eux, comme un décor de drame, les arbres verts, d’un vert clair et luisant, les troncs frappés par le vif reflet de la flamme, le feuillage traversé, pénétré, mouillé par la lumière qui coulait dedans.

Puis tout redevint noir de nouveau.

Certes, ce fut une vision fort étrange ! Que faisaient-ils dans cette forêt, ces deux rôdeurs ? Pourquoi ce feu dans une nuit étouffante ?

Comme la terre devait être troublante autrefois, quand elle était si mystérieuse !

A mesure qu’on lève les voiles de l’inconnu, on dépeuple l’imagination des hommes. Vous ne trouvez pas, Monsieur, que la nuit est bien vide d’un noir bien vulgaire depuis qu’elle n’a plus d’apparitions ?

On se dit : "plus de fantastique, plus de croyances étranges, tout l’inexpliqué est explicable. Le surnaturel baisse comme un lac qu’un canal épuise ; la science, de jour en jour, recule les limites du merveilleux ".

Eh bien, moi, Monsieur, j’appartiens à la vieille race, qui aime à croire. J’appartiens à la vieille race naïve accoutumée à ne pas comprendre, à ne pas chercher, à ne pas savoir, faite aux mystères environnants et qui se refuse à la simple et nette vérité.

Oui, Monsieur, on a dépeuplé l’imagination en surprenant l’invisible. Notre terre m’apparaît aujourd’hui comme un monde abandonné, vide et nu ».


Guy De Maupassant,

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